J+1 : Top départ
J’entre dans un magasin de prêt-à-porter où j’ai repéré quelques articles. Je fais un tour dans la boutique, promenant mon regard sur les vêtements, quand je tombe en arrêt devant un article sur un mannequin. Une veste en molleton, une belle coupe, cintrée à la taille, avec un col inédit. c’est avant-gardiste et ça me plaît beaucoup, je vais l’acheter ! Mais… … C’est quoi, ce bruit de vagues, comme si l’océan clapotait tout contre mon oreille ? Hé mais oui ! Retour à la réalité, l’océan c’est mon réveil, et ce magasin fantastique, eh bien, c’était un rêve. Je comprends mieux pourquoi j’avais les moyens de tout acheter ! Dommage.
Quoique ? C’est le grand jour, on part à Londres ! J’éteins le réveil d’une main déterminée, et c’est comme si une tornade se mettait en branle dans l’appartement, je me retrouve debout dans la cuisine, les cheveux ébouriffés mais le cerveau surexcité : réparation des sandwiches, avec une technique pour gagner du temps : je bois une gorgée de thé, je coupe un cornichon, je bois une gorgée de thé, j’étale les rillettes de poulet, etc… Nettoyage de la cage de Lapinou qui est bien réveillée et s’empresse d’étaler tout son foin, maquillage, je croise Romain qui boucle la valise (ma super valise roxy, immense et si belle), je lace mes chaussures, il est six heures et on décolle !
Métro et RER au pas de course, car on a beau être dans les temps, j’imagine le pire : on arrive trop tard pour s’enregistrer, l’Eurostar part sans nous, nooon ! A l’enregistrement, on rigole bien : il faut montrer sa carte d’identité aux français PUIS aux anglais. La confiance règne !
Après un passage réussi haut la main sous les portiques de sécurité, nous voilà prêts à embarquer. tout va bien, on va partir comme prévu, je lâche la pression. Et en voyant le train, je me rends compte d’une chose à laquelle je n’avais pas réfléchi : je vais faire une partie du voyage dans un tunnel, sous la Manche. Une mer au-dessus de moi… Ca me laisse tout-à-coup songeuse… Je vais avoir une immensité d’eau au dessus de la tête, et des poissons par centaines, par milliers ; et nous dans notre wagon, à l’intérieur de la planète terre…
En fait, c’est génial ! La dernière fois que je suis allée au Royaume-Uni, il fallait prendre le ferry, aujourd’hui il suffit de s’asseoir dans un wagon. On peut plonger le nez dans un bouquin et quand on relève la tête on est à Londres. Ça tient presque du miracle. Ceci dit, j’aimais bien la parenthèse du ferry : on sortait de la voiture, on pouvait regarder la mer, voir les côtes anglaises se former sur la ligne d’horizon… C’est chouette aussi. Bref, me voilà dans mon wagon, la valise est rangée, nous avons trouve nos sièges. Le train démarre doucement, un coup d’œil au Sacré Cœur, ça y est, nous quittons Paris. Trêve de plaisanteries, il est temps de feuilleter le guide et de faire le tri pour organiser notre week-end !
9h40 : Catastrophe. Le message qui m’avait glacé le sang il y a dix minutes se vérifie : l’Eurostar s’arrête avant d’entrer dans le tunnel. (Et mes poissons au-dessus de la tête alors ? Et mon week-end ?). D’après le message diffusé par notre diplomate chef de bord, il y aurait un problème sous le tunnel. Une sardine se serait-elle infiltrée entre deux soudures ? Première phase, on prend les choses avec bonhomie. Il vaut mieux échapper au pire plutôt que de se trouver coincés dans un tunnel en flammes. Mais tout de même, je suis un peu contrariée par cet arrêt intempestif. Pour la peine, j’assassine sans vergogne quelques MM’s sous mes dents vengeresses, avant d’échafauder une théorie digne d’Hercule Poirot ou Miss Marple (vous noterez que je suis déjà en mode british). En effet, depuis que nous sommes arrêtés, le haut-parleur a grésillé plusieurs fois sans qu’il y ait aucune annonce. (Là je hausse le sourcil droit pour que vous soyez attentifs à tous les rouages de ma théorie). Et la dernière fois, on a entendu « Excusez-moi ». Pas de doute possible, j’ai compris ce qui se passe. Je me penche doucement vers Romain pour lui glisser quelques mots à l’oreille : « Le pilote essaie de nous faire comprendre qu’il a été pris en otage. Il n’y a pas de problème dans le tunnel. En fait, (silence théâtral d’une seconde) c’est un détournement d’Eurostar. ». Romain ne répond rien mais me regarde d’un air entendu. Nous nous levons de concert et nous dirigeons tranquillement vers les toilettes, comme si de rien n’était. Nous sommes Mr & Mrs Smith, agents secrets.
Cachés dans les toilettes, nous sortons notre panoplie. Mon Beretta est accroché à mon porte-jarretelle, Romain sort un Uzi de son attaché-case. Nous sommes pros de ce genre de situation et sortons des toilettes pour nous diriger vers la locomotive. Quatre wagons à traverser d’un pas rassuré, sous les yeux respectueux et reconnaissants des autres passagers à qui nous jetons en pâture des « La situation est sous contrôle » ou encore « Services secrets, vous êtes sauvés ». C'est curieux, je suis une belle femme d'un mètre quatre-vingt, et Romain n'a commis aucune maladresse fâcheuse... Oh noooon, c’est encore un rêve ! Flûte alors, pour une fois qu’on jouait les héros ! Il est 9h55 et nous sommes « arrêtés pour un certain temps » dixit le chef de bord…
10h30. Une chape d’ennui a sournoisement fondu sur moi, m’enveloppant petit-à-petit des pieds à la tête. Je n’ai pas de miroir, mais quelque chose me dit que je dois avoir l’œil torve et la mine allongée. Pas du tout le faciès de la fille qui part en week-end, mais que voulez-vous, je m’ennuie ! J’ai tenté le feuilletage de magazine, mais c’est comme un magazine dans une salle d’attente : c’est beaucoup moins intéressant qu’à la maison. C’est presque soporifique même, c’est curieux ! Mon œil très girly repère quand même une besace de chez Marcs by Marc Jacobs, celle avec l’oiseau doré. Coup de cœur, puis re-ennui. Mon magazine ne m'amuse pas !!!
Ah, une annonce parlée (tout le wagon se redresse, comme si ça aidait à mieux écouter) : chaque personne a droit à un verre d’eau au bar. Ils ont peur qu’on meurt déshydratés comme des pruneaux, c’est peut-être mauvais signe… Romain va voir et revient avec une bouteille d’eau (1,5L) qu’il a réquisitionnée, on n’allait pas se contenter d’un verre d’eau, gnark gnark. il est fort mon homme, pour ramener plein de choses. Je repense aux quatre bouquets de muguet assortis de roses qu’il m’avait offert pour le 1er mai : pas un rond ! Et hier encore, c’était des oréos, ces petits biscuits qui font leur apparition en France, il en a pris trois échantillons gratuits au lieu d’un !
11h10. J’ai atteint un état philosophique, presque méditatif. Ou alors c’est lui qui m’a atteinte ? Le résultat est le même, je suis une poussière d’étoile dans un Eurostar qui est lui-même une poussière d’étoile… Qu’importe que nous bougions ou pas, nous ne sommes que d’infimes particules dans un univers gigantesque… Je suis une poussière d’étoile… Ceci dit, l’infime particule en méditation jette à tout hasard un coup d’œil par la fenêtre, et lorsqu’elle voit le soleil briller haut dans le ciel, elle se réveille ! Bordel, il fait beau et on est coincés dans une particule un wagon depuis plus de deux heures. Deux longues heures, notre chef de bord aurait-il des jeux de société en réserve ?
11h40. Dans son français approximatif, puis dans son anglais approximatif (mais d’où sort-il ?), le chef de bord nous annonce une EXCELLENTE nouvelle : l’incident est résolu, et nous allons avoir l’immense bonheur de repartir d’ici quarante minuscules minutes. Le fog londonien se précise ! Je n’y croyais plus, je n’osais pas m’y projeter, mais voilà : je vais être à Londres tout à l’heure ! Et heureusement, car mes livres sterling commençaient à pleurer dans mon sac à main.
12h25. On bouge ! Drôle de sensation après 4h00 d’immobilité parfaite. Bientôt le tunnel, et puis London…